Interview Professeur Alexandre Chagnes par Mathieu Beucher – WeeeDoIT
Interview Professeur Alexandre Chagnes par Mathieu Beucher

Interview Professeur Alexandre Chagnes par Mathieu Beucher

Professeur Alexandre Chagnes : Pionnier de l'Économie Circulaire dans le Recyclage des Déchets Électroniques

Après avoir travaillé sur l’électrochimie des batteries lithium-ion en France et sur l’hydrogénation électrocatalytique des composés organiques au Canada, le professeur Alexandre Chagnes a commencé une activité de recherche dans le domaine de l’hydrométallurgie entre 2005 et 2016 à Chimie Paristech (Paris) en tant que professeur associé.

Depuis 2016, il est professeur titulaire à l’Université de Lorraine. Il a été directeur du réseau national sur la métallurgie extractive (Promethee) en 2014-2020, directeur des partenariats industriels en 2018-2022 à l’École d’ingénieurs en géologie (Nancy, France), directeur scientifique du LabEx RESSOURCES21 en 2016-2024, et il est actuellement directeur du Programme de recherche sur l’économie circulaire pour les transitions énergétique et numérique à l’Université de Lorraine qui regroupe 14 laboratoires impliqués dans la chaîne de valeur des métaux, l’économie des ressources et le modèle d’affaires. Il est également financeur et directeur scientifique de la start-up WEEEMET, qui développe des procédés hydrométallurgiques innovants pour le recyclage des métaux issus des transitions numériques.

Alexandre Chagnes vise à développer la recherche fondamentale sur la compréhension de la physico-chimie impliquée dans les procédés de récupération des métaux à partir de ressources primaires et secondaires afin de développer de nouveaux procédés ou d’améliorer les procédés existants.

Actuellement, la plupart de ses activités de recherche se concentrent sur le recyclage des batteries lithium-ion et des déchets électroniques, ainsi que sur la production de métaux pour la transition énergétique. Il a publié 152 articles, 7 livres, 15 chapitres de livres et 3 brevets sur la chimie des solutions, la thermodynamique, l’électrochimie ou la science de la séparation. Il a également donné 168 conférences lors de réunions nationales et internationales.

Après avoir collaboré sur plusieurs sujets avec le Professeur Alexandre Chagnes, WeeeDoIT a voulu mettre en avant le travail essentiel des chercheurs dans le monde entier sur les déchets électroniques et leur traitement.

M.B : Qu’est-ce que l’économie circulaire ?

A.C : L’économie circulaire est un modèle de production et de consommation qui consiste à partager, réutiliser, réparer, rénover et recycler les produits et les matériaux existants le plus longtemps possible afin qu’ils conservent leur valeur. La mise en œuvre de l’économie circulaire permet de réduire notre impact environnemental en mieux gérant nos ressources et en réduisant nos déchets tout en produisant de la valeur.
Notre société crée une quantité impressionnante de déchets qu’il faut absolument gérer et valoriser au mieux. Par exemple, 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques ont été générées dans le monde en 2019, soit une augmentation de 21% en 5 ans, et cela va continuer d’augmenter avec la transition énergétique, la transition digitale et la mobilité électrique. Parmi ces déchets, les cartes électroniques représentent 3%. Recycler ces déchets est une réelle opportunité d’un point de vue économique puisqu’elles sont composées de métaux à 40%.

M.B : Aujourd’hui, ces cartes électroniques sont-elles recyclées ?

A. C : L’économie circulaire est un modèle complexe car il fait appel à de nombreux acteurs. Il est nécessaire non seulement de maîtriser chaque étape de la chaîne de valeurs mais aussi d’avoir une vision holistique de l’extraction des matières premières au recyclage en passant par la fabrication des objets. Il est très difficile de pouvoir maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur dans le contexte de l’économie circulaire. Le recyclage du verre en France est un bon exemple d’une filière de recyclage réussie.
À l’opposé, des efforts notables sont à réaliser pour mettre en œuvre une filière de recyclage complète des cartes électroniques. Les éco organismes contribuent à organiser de telles filières en France. La collecte fonctionne mais pourrait être plus efficace si les consommateurs prenaient conscience qu’il ne sert à rien de garder chez eux des téléphones, des ordinateurs, et d’autres appareils électroniques usagés en pensant qu’ils en auront peut-être besoin un jour. Il y a donc encore un gros travail d’information auprès des consommateurs ou un travail de réflexion pour davantage inciter les consommateurs à apporter leurs appareils électroniques dans les centres dédiés. De plus, trop peu de métaux contenus dans les cartes électroniques sont réellement valorisés et nous ne savons actuellement pas comment valoriser les plastiques des cartes électroniques usagées qui sont stockées dans des sites spécialisés ou brûlées.

M.B : Quels sont les processus de recyclage ?

A.C : Comme je le disais, le volume de cartes électroniques collectées est relativement élevé mais le pourcentage de cartes électroniques réellement recyclées, c’est-à-dire permettant de valoriser les métaux qui sont contenus dedans par exemple reste faible.
L’idéal serait de pouvoir réutiliser les cartes électroniques usagées qui sont collectées au lieu de démarrer un processus de recyclage. La réutilisation est en effet plus vertueuse. Cependant, dans le cas particulier des cartes électroniques, l’évolution rapide des technologies rend souvent obsolètes les anciennes générations de cartes électroniques. Une autre voie pourrait être de tester les composants électroniques des cartes et de réutiliser ceux qui fonctionnent encore pour fabriquer de nouvelles cartes électroniques. Cette voie est intéressante mais elle nécessite d’imaginer des outils permettant de désassembler les cartes et de diagnostiquer les composants à faible coût.
Quand l’objet ne peut pas être réutilisé pour sa fonction d’usage initiale ou pour un autre usage, l’objet usagé doit être traité mécaniquement (broyage, déchiquetage), physiquement (séparation magnétique, électrostatique, etc.) et chimiquement (extraction chimique par voie pyrométallurgique ou hydrométallurgique) pour récupérer les métaux et les valoriser.

M.B : Comment ces procédés de recyclage des cartes électroniques fonctionnent-ils ?

A.C : Les procédés de recyclage visant à valoriser les métaux contenus dans les déchets comme les cartes électroniques utilisent les mêmes technologies que celles mises en œuvre pour extraire les métaux contenus dans les mines puisque les déchets électroniques sont, en somme, comme une mine urbaine. Ces déchets électroniques sont actuellement majoritairement traités par voie pyrométallurgique, c’est-à-dire qu’ils sont mis dans un four afin de produire des métaux ou des alliages métalliques tandis que les matières plastiques contenues dans le déchet sont brûlées. La pyrométallurgie est consommatrice d’énergie et ne peut pas séparer finement les métaux. Actuellement, elle est majoritairement utilisée pour valoriser le cuivre et l’or principalement contenus dans les cartes électroniques mais les autres métaux comme l’étain ne sont pas valorisés.
La voie hydrométallurgique est une alternative qui permet de valoriser la plupart des métaux contenus dans les déchets électroniques, consomme moins d’énergie que la pyrométallurgie et permet de produire soit des métaux soit des sels métalliques ultrapurs qui trouvent facilement un marché. Les procédés hydrométallurgiques consistent à dissoudre le concentré produit par des méthodes de séparation physique en amont (broyage, déchiquetage, séparation magnétique, séparation électrostatique, tamisage, séparation gravimétrique, etc.) puis à mettre en œuvre des opérations de séparation par précipitation/cristallisation, extraction liquide-liquide, etc. Au final, les produits obtenus doivent répondre à un cahier des charges (morphologie, taille, pureté, etc.) pour ensuite être vendus et alimenter les chaînes de production pour fabriquer de nouveaux produits.

M.B : Quels sont les défis dans le domaine du recyclage des cartes électroniques ?

A.C : Un des défis concerne la mise en place d’un processus de collecte performant qui est essentiel pour que la filière de recyclage soit efficace. Une collecte efficace doit avoir des taux de collecte élevés et doit permettre de trier les déchets en amont de façon à faciliter les opérations qui suivront pour les rendre moins coûteuses et à faible impact environnemental. Pour cela, il faut travailler sur la logistique de la collecte mais aussi être au plus près du consommateur. La réglementation est aussi là pour cadrer le recyclage et, dans certains cas, l’imposer pour des raisons sanitaires par exemple, même si celui-ci est coûteux.

Un autre défi est technologique. Il faut pouvoir développer des technologies de recyclage performantes, peu coûteuses et respectueuses de l’environnement. Les procédés actuels reposent sur des briques technologiques qui ont fait leurs preuves puisqu’elles ont été développées initialement pour les exploitations minières. Il faut sans arrêt les améliorer ou imaginer de nouvelles technologies pour rendre le procédé moins cher, efficace et durable. Cela concerne aussi bien le démantèlement, le tri que les procédés chimiques de transformation qui doivent consommer le moins possible d’énergie et de produits chimiques, et générer le moins d’effluents liquides, solides ou gazeux. 

Un procédé performant doit compter le moins d’opérations possible, c’est-à-dire que chaque opération doit être performante. Pour cela, les chercheurs étudient l’utilisation de nouveaux milieux comme les fluides supercritiques, cherchent à développer de nouvelles molécules ou de nouveaux matériaux capables de séparer les métaux contenus dans les cartes électroniques, ou à développer des technologies membranaires afin de réduire la consommation énergétique mises en œuvre dans la séparation des métaux par voie hydrométallurgique. Les chercheurs cherchent également des moyens pour valoriser les plastiques contenus dans les cartes électroniques, qui représentent en moyenne 60% du poids d’une carte électronique. L’intégration de l’intelligence artificielle dans les procédés de recyclage ouvre également des perspectives intéressantes pour que ces procédés fonctionnent de façon optimisée et puissent être suffisamment agiles pour s’adapter aux flux dont la composition et la quantité varient fortement au cours du temps du fait de l’évolution rapide des technologies.

Enfin, il y a aussi des défis à relever pour optimiser la chaîne de valeurs et maîtriser les flux d’informations tout au long de la chaîne de valeur afin que le principe d’économie circulaire soit performant. Pour cela, là encore, l’intelligence artificielle pourrait jouer un rôle. Parallèlement aux aspects organisationnels et technologiques, la réglementation doit pouvoir être suffisamment agile pour accompagner les acteurs du recyclage.

La formation des futurs techniciens, ingénieurs et chercheurs qui contribueront aux filières de recyclage est aussi un défi conséquent. Les besoins des industriels du recyclage et les formations disponibles doivent être en parfaite adéquation. Un autre défi de taille est donc de faire évoluer nos formations pour répondre aux besoins de l’industrie du recyclage qui est en pleine transformation.

Vous souhaitez prendre part à ce numérique circulaire vertueux ? Discutons de votre projet pour voir les solutions qui vous conviennent.

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