
Derrière chaque serveur qu’on débranche, derrière chaque écran qui s’éteint définitivement, une question se pose : où vont nos équipements numériques en fin de vie ?
Pendant longtemps, beaucoup ont pris la direction de pays lointains, souvent hors de tout cadre réglementaire. Résultat : des décharges électroniques à ciel ouvert en Afrique ou en Asie, avec des impacts humains et environnementaux désastreux (IISD, 2025).
En 2025, un changement majeur entre en vigueur : la nouvelle version de la Convention de Bâle, qui encadre les mouvements transfrontaliers de déchets électroniques. Pour la première fois, elle s’applique aussi bien aux déchets dangereux qu’aux déchets considérés comme non dangereux (EPA, 2023, SLR Consulting, 2024).
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Jusqu’ici, l’exportation d’équipements usagés ressemblait à une échappatoire commode : une fois envoyés à l’étranger, ces objets disparaissaient de nos radars. Mais derrière ce “délestage”, se cachait une réalité : des montagnes de déchets électroniques laissés à ciel ouvert, brûlés pour en extraire quelques grammes de cuivre ou de métaux précieux.
Avec Bâle 2025, ce temps est révolu. Les transferts d’équipements électroniques, qu’ils soient cassés, usagés ou même réutilisables, sont désormais soumis à des règles strictes :
Tous les flux électroniques sont couverts par les annexes A1181 (dangereux) et Y49 (non dangereux).
Tout transfert doit passer par la procédure de Consentement Préalable Éclairé (PIC) : le pays destinataire doit donner son accord écrit avant tout envoi (Compucycle, 2024).
Même les équipements destinés au réemploi doivent être testés, certifiés et documentés. À défaut, ils sont automatiquement considérés comme des déchets.
En clair : déclarer “cet ordinateur marche encore” ne suffit plus. Il faut en apporter la preuve.

Depuis l’Amendement d’interdiction de Bâle (Ban Amendment), entré en vigueur en 2019, l’export de déchets dangereux depuis les pays de l’OCDE vers les pays non-OCDE est strictement interdit (Beveridge & Diamond, 2020).
Si un appareil est classé dangereux (ex. : contient batteries lithium abîmées, plomb, mercure, retardateurs de flamme) → interdiction totale d’export vers les pays hors OCDE.
Si un appareil est non dangereux mais n’a pas passé de tests → il est classé “déchet” et son exportation est soumise au PIC. Le pays destinataire peut refuser → ce qui revient à une interdiction.
Ce qui était autrefois toléré — envoyer des lots de matériel usagé sous couvert de réemploi — est désormais surveillé de près, et dans bien des cas interdit.
Concrètement, tous les équipements électroniques sont visés : ordinateurs de bureau, PC portables, serveurs, routeurs, écrans, imprimantes, mais aussi les accessoires, batteries ou composants. Même un lot de pièces détachées peut tomber sous le coup de la Convention.
Et un appareil en apparence fonctionnel peut être requalifié en déchet s’il n’a pas été testé, certifié, et documenté. Cette précision change la donne : il ne suffit plus de déclarer qu’un ordinateur “marche encore”. Il faut le prouver, avec des résultats de tests et des documents à l’appui. Faute de quoi, l’envoi à l’international devient une infraction.
Au lieu de voir ces nouvelles règles comme une contrainte, pourquoi ne pas les transformer en opportunité ? Ce renforcement réglementaire ouvre un levier concret pour développer le reconditionnement local. Valoriser les équipements sur place, structurer des filières de réemploi, c’est répondre aux exigences de Bâle tout en créant de la valeur.
C’est un cercle vertueux : moins de transport, donc une empreinte carbone réduite ; moins de dépendance à l’export, donc plus de souveraineté sur les équipements ; et surtout plus d’emplois locaux, dans des filières utiles et durables.
Un matériel qui semblait bon pour la casse peut, une fois revalorisé, encore servir dans une école, une collectivité, ou une PME. Bâle 2025 redonne du sens à l’économie circulaire.
Se conformer à la nouvelle convention ne s’improvise pas. Cela suppose de revoir certains réflexes dans la gestion IT.
Voici les axes à anticiper dès maintenant :
Mettre en place des tests fonctionnels systématiques pour tous les équipements destinés à l’export ou au reconditionnement.
Utiliser des solutions d’effacement certifiées (comme celles conformes NIST ou IEEE 2883) pour sécuriser les données.
Traquer et tracer chaque actif, en conservant les justificatifs nécessaires : diagnostics, rapports d’audit, certificats.
Travailler avec des partenaires ITAD qualifiés et transparents, capables de garantir la conformité du traitement.
En intégrant ces étapes à vos processus internes, vous sécurisez vos flux, simplifiez vos audits, et gagnez en clarté sur la valeur réelle de votre parc IT.

Ce que Bâle 2025 impose, c’est la transparence à chaque maillon de la chaîne. Le flou n’a plus sa place. Chaque équipement doit être identifiable, chaque décision documentée, chaque sortie de stock justifiée.
Pour les acteurs de l’ITAD, c’est un cap structurant : il faudra démontrer, certifier, sécuriser. Mais cette exigence, en réalité, sert tout le monde. Elle protège les filières responsables, elle rassure les donneurs d’ordre, et surtout, elle évite de faire porter à d’autres pays le poids de notre charge numérique.
L’effet domino est clair : les équipements numériques, une fois leur première vie terminée, ne peuvent plus être gérés comme de simples déchets anonymes. Ils deviennent des matières sous haute responsabilité.
Ce changement bouscule les habitudes, pousse à revoir les flux logistiques, oblige à adopter une approche plus rigoureuse. Mais il aligne aussi le secteur IT avec les valeurs de durabilité, d’éthique et de souveraineté environnementale.
Ce n’est plus juste une affaire de conformité. C’est un acte de cohérence avec le monde dans lequel on veut vivre.
Bâle 2025 n’est pas une option. C’est une nouvelle norme. Une réponse globale au dumping électronique, une main tendue vers une économie numérique plus propre, plus équitable, plus traçable.
Pour les entreprises, c’est le moment d’agir. De repenser leur chaîne de traitement IT. De choisir des partenaires qui font les choses bien. De ne plus envoyer leurs déchets “loin” pour ne plus les voir, mais de les revaloriser ici, dans une logique circulaire, transparente et responsable.
Car le numérique du futur ne se juge pas seulement à la puissance de ses processeurs, mais aussi à la manière dont il gère ses déchets.
Et avec Bâle 2025, cette fois, on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.
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Team WeeeDoIT